Les enfants de la psychanalyse Marion Mari-Bouzid
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Les enfants de la psychanalyse Marion Mari-Bouzid
Les enfants de la psychanalyse Marion Mari-Bouzid.
Mon petit éditeur, collection psycho, 2012, 308 pages, 25 €
Note de lecture de Martin Brunschwig
« Je me considère comme un enfant battu par les mots. »
(Témoignage de Norbert, p. 130)
Marion Mari-Bouzid, psychologue cognitiviste et comportementaliste (et nombreux autres titres), propose un ouvrage original : présenter les témoignages d’enfants de psychanalystes parfois renommés pour déterminer ce qui se passe lorsque la psychanalyse occupe une place prépondérante dans la vie d’un individu. De « vrais » enfants de psychanalystes ont effectivement tout pour éclairer d’un jour intéressant une influence qui est chez eux peut-être paroxystique, mais qui peut aussi bien s’exercer sur nombre d’entre nous, « enfants de la psychanalyse », car membres d’une société où elle a tellement pignon sur rue (au moins en France).
Sur la forme, l’ouvrage, construit en grande partie autour des témoignages d’une dizaine d’intervenants, est facile et agréable, limite « relâché » puisque le style oral y est employé. Mais sur le fond, les enseignements sont nombreux et éloquents ! On constate par exemple que le monde des psychanalystes et de leurs familles ou amis est un entre soi plutôt fermé. Un mode de vie et de pensée de « ceux qui savent », contre le reste du monde, et qui explique bien des choses sur l’arrogance rencontrée parfois et les certitudes affichées si souvent par les psychanalystes. Ce constat me paraît d’ailleurs affaiblir un peu le postulat de départ selon lequel nous serions tous « enfants de psy »…
Mais ce qui frappe le plus, et pourrait surprendre, si l’on ne savait par ailleurs que la psychanalyse est une fumisterie, c’est de constater combien ces enfants vont mal ! Aucun ne remet pourtant en cause la psychanalyse et ils continuent de penser que cette démarche les rapproche de la vérité. Mais par contre, ils soulignent tous à quel point ce questionnement perpétuel, cette recherche permanente de vérités « cachées » ou de « raisons profondes » sont invivables.
Globalement, l’auteur résume le problème p. 266 en disant : « quand on gratte bien, et que l’on creuse, on finit par trouver le trou que l’on a soi-même creusé ». On ne compte plus les extraits qui vont dans ce sens, les « j’aimerais tant vivre simplement » ou « j’aimerais ne pas me poser de questions et vivre les choses telles qu’elles sont… » ; mais il faut noter aussi que cette posture est présentée comme primaire par ces enfants sûrs d’eux.
Les autres problèmes bien posés sont d’une part le fait que cette recherche des raisons profondes se heurte à un obstacle tout bête, une objection qu’il est d’ailleurs étonnant de ne pas rencontrer plus souvent : où s’arrêter ? Il est bien évident que chaque « révélation » peut cacher une autre raison encore plus profonde et ainsi de suite… D’autre part, le fait d’interpréter sans cesse anéantit toute action et conduit visiblement à négliger le réel pour ne plus voir que les interprétations. Il devient impossible, pour un parent psychanalyste, d’aborder le mal au ventre de son petit sans chercher « ce que ça cache »… et en négligeant de soigner son indigestion ! Cet aspect est bien résumé par un titre de chapitre éloquent, dans cette partie du livre : « l’impossibilité de se forger la moindre certitude ».
Au total, les dégâts de la psychanalyse sont dénoncés fermement, et sa seule excuse serait de « ruiner les gens pour leur bien »… (pour rejoindre approximativement Coluche et son fameux « mourir guéri »). L’auteur dresse en fin d’ouvrage un réquisitoire, une longue conclusion qui s’éloigne des témoignages, et lui permet de mettre la psychanalyse face à quelques contradictions intrinsèques irréductibles. Ainsi, une réjouissante analyse de la prétention des psychanalystes à s’occuper de « chacun de nous », de refuser de réduire l’individu à une norme, etc. etc. (couplet bien connu…) ; en fait, c’est bien le contraire que fait la psychanalyse : « Le sujet en analyse s’attendant à découvrir sa singularité sera donc bien déçu de trouver en lui encore et toujours les mêmes désirs inconscients inavouables et présumés universels ». Ainsi également la démonstration sans faille du fait qu’il n’est pas suffisant de savoir ou comprendre pour changer, contrairement à l’idée bien répandue.
L’auteur en vient à conclure que finalement, la psychanalyse s’avère être la nouvelle maladie que les psys vont devoir soigner. Si l’on excepte un petit quizz en fin d’ouvrage, sans doute là pour détendre un peu l’atmosphère, mais qui m’a paru d’une pauvreté affligeante (niveau Elle ou Marie-Claire…), je recommande à tout un chacun la lecture de ce livre très éclairant qu’on aurait aussi pu intituler « malaise dans la civilisation psy ».
Note de lecture de Martin Brunschwig dans le site Science.. et pseudo-sciences
Mon petit éditeur, collection psycho, 2012, 308 pages, 25 €
Note de lecture de Martin Brunschwig
« Je me considère comme un enfant battu par les mots. »
(Témoignage de Norbert, p. 130)
Marion Mari-Bouzid, psychologue cognitiviste et comportementaliste (et nombreux autres titres), propose un ouvrage original : présenter les témoignages d’enfants de psychanalystes parfois renommés pour déterminer ce qui se passe lorsque la psychanalyse occupe une place prépondérante dans la vie d’un individu. De « vrais » enfants de psychanalystes ont effectivement tout pour éclairer d’un jour intéressant une influence qui est chez eux peut-être paroxystique, mais qui peut aussi bien s’exercer sur nombre d’entre nous, « enfants de la psychanalyse », car membres d’une société où elle a tellement pignon sur rue (au moins en France).
Sur la forme, l’ouvrage, construit en grande partie autour des témoignages d’une dizaine d’intervenants, est facile et agréable, limite « relâché » puisque le style oral y est employé. Mais sur le fond, les enseignements sont nombreux et éloquents ! On constate par exemple que le monde des psychanalystes et de leurs familles ou amis est un entre soi plutôt fermé. Un mode de vie et de pensée de « ceux qui savent », contre le reste du monde, et qui explique bien des choses sur l’arrogance rencontrée parfois et les certitudes affichées si souvent par les psychanalystes. Ce constat me paraît d’ailleurs affaiblir un peu le postulat de départ selon lequel nous serions tous « enfants de psy »…
Mais ce qui frappe le plus, et pourrait surprendre, si l’on ne savait par ailleurs que la psychanalyse est une fumisterie, c’est de constater combien ces enfants vont mal ! Aucun ne remet pourtant en cause la psychanalyse et ils continuent de penser que cette démarche les rapproche de la vérité. Mais par contre, ils soulignent tous à quel point ce questionnement perpétuel, cette recherche permanente de vérités « cachées » ou de « raisons profondes » sont invivables.
Globalement, l’auteur résume le problème p. 266 en disant : « quand on gratte bien, et que l’on creuse, on finit par trouver le trou que l’on a soi-même creusé ». On ne compte plus les extraits qui vont dans ce sens, les « j’aimerais tant vivre simplement » ou « j’aimerais ne pas me poser de questions et vivre les choses telles qu’elles sont… » ; mais il faut noter aussi que cette posture est présentée comme primaire par ces enfants sûrs d’eux.
Les autres problèmes bien posés sont d’une part le fait que cette recherche des raisons profondes se heurte à un obstacle tout bête, une objection qu’il est d’ailleurs étonnant de ne pas rencontrer plus souvent : où s’arrêter ? Il est bien évident que chaque « révélation » peut cacher une autre raison encore plus profonde et ainsi de suite… D’autre part, le fait d’interpréter sans cesse anéantit toute action et conduit visiblement à négliger le réel pour ne plus voir que les interprétations. Il devient impossible, pour un parent psychanalyste, d’aborder le mal au ventre de son petit sans chercher « ce que ça cache »… et en négligeant de soigner son indigestion ! Cet aspect est bien résumé par un titre de chapitre éloquent, dans cette partie du livre : « l’impossibilité de se forger la moindre certitude ».
Au total, les dégâts de la psychanalyse sont dénoncés fermement, et sa seule excuse serait de « ruiner les gens pour leur bien »… (pour rejoindre approximativement Coluche et son fameux « mourir guéri »). L’auteur dresse en fin d’ouvrage un réquisitoire, une longue conclusion qui s’éloigne des témoignages, et lui permet de mettre la psychanalyse face à quelques contradictions intrinsèques irréductibles. Ainsi, une réjouissante analyse de la prétention des psychanalystes à s’occuper de « chacun de nous », de refuser de réduire l’individu à une norme, etc. etc. (couplet bien connu…) ; en fait, c’est bien le contraire que fait la psychanalyse : « Le sujet en analyse s’attendant à découvrir sa singularité sera donc bien déçu de trouver en lui encore et toujours les mêmes désirs inconscients inavouables et présumés universels ». Ainsi également la démonstration sans faille du fait qu’il n’est pas suffisant de savoir ou comprendre pour changer, contrairement à l’idée bien répandue.
L’auteur en vient à conclure que finalement, la psychanalyse s’avère être la nouvelle maladie que les psys vont devoir soigner. Si l’on excepte un petit quizz en fin d’ouvrage, sans doute là pour détendre un peu l’atmosphère, mais qui m’a paru d’une pauvreté affligeante (niveau Elle ou Marie-Claire…), je recommande à tout un chacun la lecture de ce livre très éclairant qu’on aurait aussi pu intituler « malaise dans la civilisation psy ».
Note de lecture de Martin Brunschwig dans le site Science.. et pseudo-sciences
Invité- Invité
Fronde contre la psychiatrie à outrance
Fronde contre la psychiatrie à outrance
7 mai 2013 à 21:16 (Mis à jour: 9 mai 2013 à 11:12)
A l'hôpital Saint-Anne, à Paris, en 2007. (Photo Joël Saget. AFP)
Abonnez-vous
à partir de 1€
ENQUÊTE La nouvelle édition du DSM - 5, l’ouvrage américain qui fait autorité dans le monde de la maladie mentale, élargit le champ des troubles et des traitements. Ses opposants donnent de la voix.
Par ERIC FAVEREAU
Tous fous, comme le suggère le DSM - 5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, et 5 pour cinquième édition)? Dans quelques jours, vous aurez la réponse : la nouvelle bible du diagnostic psychiatrique sera rendue publique à l’occasion du congrès de l’APA (l’Association des psychiatres américains) qui se tient du 15 au 18 mai à San Francisco. Le DSM - 5 est l’ultime version d’un ouvrage qui règne sur la psychiatrie mondiale en décrivant, une par une, les 450 pathologies mentales qui nous menacent.
Alors que faire ? Se cacher ? Et si nous étions tous un peu moins fous que les auteurs ne l’écrivent ? Car pour la première fois, la colère gronde, des pétitions et des manifestes circulent, y compris outre-Atlantique, pour «dénoncer cette psychiatrisation à outrance de nos modes de vie». Au point qu’aux Etats-Unis, le très sérieux National Institute of Mental Health prend ses distances.
Frontière. «On doit se battre», dit avec force le psychanalyste Patrick Landman, qui préside en France le collectif «Stop DSM - 5». Et énumère les dangers qui nous guettent : «Non au surdiagnostic, non à la pathologisation de la vie quotidienne, non à la surprescription médicamenteuse.» On pourrait en sourire, comme on se moque du dernier jeu vidéo, dégager en touche et pointer le réflexe antiyankee, mais l’enjeu est réel. Et crucial puisqu’il concerne la frontière sans cesse redéfinie entre le normal et le pathologique. «C’est le triomphe du symptôme, la mort du sujet avec son histoire personnelle et singulière», insiste Patrick Landman qui ajoute, avec gravité : «Aujourd’hui, si vous voulez publier dans une grande revue psychiatrique internationale, vous devez passer par la grille DSM. En France, dans les universités de médecine, c’est la seule grille nosographique qui est enseignée. C’est elle qui façonne, c’est elle qui décide.»
Querelles d’experts tatillons ? Pas tout à fait. Un exemple de ces implications quotidiennes : jusqu’ici, le deuil pathologique renvoyait à une souffrance de plus de deux mois. Avec le DSM - 5, ce sera quinze jours. «Je peux vous annoncer, dans les années à venir, de nouvelles épidémies avec ces nouveaux diagnostics», lâche le pédopsychiatre Guy Dana. Autre cas de figure, l’apparition chez les personnes âgées d’un trouble dysfonctionnel de l’humeur («trouble mental mood disfunction»). «Il y a une volonté de prévoir la maladie d’Alzheimer, pourquoi pas ? Le DSM - 5 crée ce symptôme, c’est-à-dire la survenue de petits troubles cognitifs avec l’âge. Ils vont faire des tests, les répertorier, et puis… On traite, mais on traite quoi ?» poursuit le Dr Dana. Un nouveau diagnostic nécessitant un nouveau traitement, le cercle vicieux est enclenché.
Autre exemple, plus léger : vous avez trois ou quatre accès de gourmandise dans le mois. Est-ce grave, docteur ? L’hyperphagie surgit dans le DSM - 5. Ce diagnostic est construit à partir d’un symptôme qui se définirait comme un trouble des conduites alimentaires sans vomissement. Et hop, on vous diagnostique, vous êtes étiqueté, et pourquoi pas, on vous traite. «Aucun doute, dans quelques mois des articles dans les revues psychiatriques pointeront une épidémie d’hyperphagie», ironise Patrick Landman. Le danger est là. Avec le DSM - 5, le pathologique envahit toute la sphère du quotidien : tous les dix ans, l’usage de ce manuel agit comme une pieuvre qui prendrait dans ses tentacules tous les gestes de la vie quotidienne.
Pourfendeur. Paradoxalement, l’attaque la plus sévère contre cette bible est venue de l’intérieur. Lancée par le professeur américain Allen Frances, le responsable du groupe d’experts qui a abouti à la publication en 1994 du DSM - 4. «Invité à un cocktail de l’American Psychiatric Association, j’y ai retrouvé beaucoup d’amis. Ils étaient très excités par la préparation du DSM - 5, raconte-t-il dans un entretien à la revue Books. L’un parlait d’une nouvelle possibilité de diagnostic, celle du risque de psychose. Il serait désormais envisageable de prévoir qu’un jeune deviendra psychotique. J’ai tenté de lui expliquer le danger d’une telle idée : nous n’avons aucun moyen de prédire qui deviendra psychotique, et il y a fort à parier que huit jeunes sujets ainsi labellisés sur dix ne le deviendront jamais. Le résultat serait une inflation aberrante du diagnostic, et des traitements donnés à tort à des sujets jeunes, avec des effets secondaires graves.» C’est comme ça que lui, l’artisan du DSM - 4, est devenu le pourfendeur du DSM - 5.
Quand on l’interroge sur les conséquences du DSM - 5, Allen Frances répond : «Il faut faire très attention quand on pose un diagnostic, surtout sur un sujet jeune. Parce que, même s’il est faux ou abusif, ce jugement risque de rester attaché à la personne toute sa vie.» Et le psychiatre d’ajouter : «Les données épidémiologiques sont structurellement gonflées. C’est l’intérêt des grandes institutions publiques de recherche, aux Etats-Unis, de se référer à des données surévaluées. Cela leur permet de décrocher davantage de crédits. Les compagnies pharmaceutiques, elles, tirent argument des taux élevés pour dire que beaucoup de malades ne sont pas identifiés et qu’il faut élargir le marché.»
On aurait tort de prendre à la légère ces dérives potentielles. «Tout nouveau diagnostic cible des gens, qui vont ensuite recevoir des psychotropes. C’est une machine infernale», insiste Patrick Landman, qui vient de publier un livre sur le sujet (1). «Si au moins cela marchait», lâche-t-il. Dans les pays de l’OCDE, la consommation d’antidépresseurs a augmenté en moyenne de 60 % entre 2000 et 2009, et pourtant rien n’indique que le taux de dépression ait diminué. En Islande, plus gros consommateur de ces molécules dans le monde, le taux de suicide reste stable depuis dix ans.
«Le plus grave, insiste Patrick Landman, c’est le règne de la pensée unique.» «Ce qui m’inquiète, conclut le Dr Tristan Garcia-Fons, pédopsychiatre, ce sont les ravages chez l’enfant. Le DSM -5 fabrique des enfants anormaux. Tout enfant qui s’écarte de la norme devient malade. C’est pour cela qu’il ne faut surtout pas se taire.»
(1) «Tristesse Business, le scandale du DSM - 5», Max Milo, 12 €.
http://www.liberation.fr/societe/2013/05/07/fronde-contre-la-psychiatrie-a-outrance_901586
7 mai 2013 à 21:16 (Mis à jour: 9 mai 2013 à 11:12)
A l'hôpital Saint-Anne, à Paris, en 2007. (Photo Joël Saget. AFP)
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ENQUÊTE La nouvelle édition du DSM - 5, l’ouvrage américain qui fait autorité dans le monde de la maladie mentale, élargit le champ des troubles et des traitements. Ses opposants donnent de la voix.
Par ERIC FAVEREAU
Tous fous, comme le suggère le DSM - 5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, et 5 pour cinquième édition)? Dans quelques jours, vous aurez la réponse : la nouvelle bible du diagnostic psychiatrique sera rendue publique à l’occasion du congrès de l’APA (l’Association des psychiatres américains) qui se tient du 15 au 18 mai à San Francisco. Le DSM - 5 est l’ultime version d’un ouvrage qui règne sur la psychiatrie mondiale en décrivant, une par une, les 450 pathologies mentales qui nous menacent.
Alors que faire ? Se cacher ? Et si nous étions tous un peu moins fous que les auteurs ne l’écrivent ? Car pour la première fois, la colère gronde, des pétitions et des manifestes circulent, y compris outre-Atlantique, pour «dénoncer cette psychiatrisation à outrance de nos modes de vie». Au point qu’aux Etats-Unis, le très sérieux National Institute of Mental Health prend ses distances.
Frontière. «On doit se battre», dit avec force le psychanalyste Patrick Landman, qui préside en France le collectif «Stop DSM - 5». Et énumère les dangers qui nous guettent : «Non au surdiagnostic, non à la pathologisation de la vie quotidienne, non à la surprescription médicamenteuse.» On pourrait en sourire, comme on se moque du dernier jeu vidéo, dégager en touche et pointer le réflexe antiyankee, mais l’enjeu est réel. Et crucial puisqu’il concerne la frontière sans cesse redéfinie entre le normal et le pathologique. «C’est le triomphe du symptôme, la mort du sujet avec son histoire personnelle et singulière», insiste Patrick Landman qui ajoute, avec gravité : «Aujourd’hui, si vous voulez publier dans une grande revue psychiatrique internationale, vous devez passer par la grille DSM. En France, dans les universités de médecine, c’est la seule grille nosographique qui est enseignée. C’est elle qui façonne, c’est elle qui décide.»
Querelles d’experts tatillons ? Pas tout à fait. Un exemple de ces implications quotidiennes : jusqu’ici, le deuil pathologique renvoyait à une souffrance de plus de deux mois. Avec le DSM - 5, ce sera quinze jours. «Je peux vous annoncer, dans les années à venir, de nouvelles épidémies avec ces nouveaux diagnostics», lâche le pédopsychiatre Guy Dana. Autre cas de figure, l’apparition chez les personnes âgées d’un trouble dysfonctionnel de l’humeur («trouble mental mood disfunction»). «Il y a une volonté de prévoir la maladie d’Alzheimer, pourquoi pas ? Le DSM - 5 crée ce symptôme, c’est-à-dire la survenue de petits troubles cognitifs avec l’âge. Ils vont faire des tests, les répertorier, et puis… On traite, mais on traite quoi ?» poursuit le Dr Dana. Un nouveau diagnostic nécessitant un nouveau traitement, le cercle vicieux est enclenché.
Autre exemple, plus léger : vous avez trois ou quatre accès de gourmandise dans le mois. Est-ce grave, docteur ? L’hyperphagie surgit dans le DSM - 5. Ce diagnostic est construit à partir d’un symptôme qui se définirait comme un trouble des conduites alimentaires sans vomissement. Et hop, on vous diagnostique, vous êtes étiqueté, et pourquoi pas, on vous traite. «Aucun doute, dans quelques mois des articles dans les revues psychiatriques pointeront une épidémie d’hyperphagie», ironise Patrick Landman. Le danger est là. Avec le DSM - 5, le pathologique envahit toute la sphère du quotidien : tous les dix ans, l’usage de ce manuel agit comme une pieuvre qui prendrait dans ses tentacules tous les gestes de la vie quotidienne.
Pourfendeur. Paradoxalement, l’attaque la plus sévère contre cette bible est venue de l’intérieur. Lancée par le professeur américain Allen Frances, le responsable du groupe d’experts qui a abouti à la publication en 1994 du DSM - 4. «Invité à un cocktail de l’American Psychiatric Association, j’y ai retrouvé beaucoup d’amis. Ils étaient très excités par la préparation du DSM - 5, raconte-t-il dans un entretien à la revue Books. L’un parlait d’une nouvelle possibilité de diagnostic, celle du risque de psychose. Il serait désormais envisageable de prévoir qu’un jeune deviendra psychotique. J’ai tenté de lui expliquer le danger d’une telle idée : nous n’avons aucun moyen de prédire qui deviendra psychotique, et il y a fort à parier que huit jeunes sujets ainsi labellisés sur dix ne le deviendront jamais. Le résultat serait une inflation aberrante du diagnostic, et des traitements donnés à tort à des sujets jeunes, avec des effets secondaires graves.» C’est comme ça que lui, l’artisan du DSM - 4, est devenu le pourfendeur du DSM - 5.
Quand on l’interroge sur les conséquences du DSM - 5, Allen Frances répond : «Il faut faire très attention quand on pose un diagnostic, surtout sur un sujet jeune. Parce que, même s’il est faux ou abusif, ce jugement risque de rester attaché à la personne toute sa vie.» Et le psychiatre d’ajouter : «Les données épidémiologiques sont structurellement gonflées. C’est l’intérêt des grandes institutions publiques de recherche, aux Etats-Unis, de se référer à des données surévaluées. Cela leur permet de décrocher davantage de crédits. Les compagnies pharmaceutiques, elles, tirent argument des taux élevés pour dire que beaucoup de malades ne sont pas identifiés et qu’il faut élargir le marché.»
On aurait tort de prendre à la légère ces dérives potentielles. «Tout nouveau diagnostic cible des gens, qui vont ensuite recevoir des psychotropes. C’est une machine infernale», insiste Patrick Landman, qui vient de publier un livre sur le sujet (1). «Si au moins cela marchait», lâche-t-il. Dans les pays de l’OCDE, la consommation d’antidépresseurs a augmenté en moyenne de 60 % entre 2000 et 2009, et pourtant rien n’indique que le taux de dépression ait diminué. En Islande, plus gros consommateur de ces molécules dans le monde, le taux de suicide reste stable depuis dix ans.
«Le plus grave, insiste Patrick Landman, c’est le règne de la pensée unique.» «Ce qui m’inquiète, conclut le Dr Tristan Garcia-Fons, pédopsychiatre, ce sont les ravages chez l’enfant. Le DSM -5 fabrique des enfants anormaux. Tout enfant qui s’écarte de la norme devient malade. C’est pour cela qu’il ne faut surtout pas se taire.»
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http://www.liberation.fr/societe/2013/05/07/fronde-contre-la-psychiatrie-a-outrance_901586
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Re: Les enfants de la psychanalyse Marion Mari-Bouzid
bonsoir,
liens très intéressant ,merci yoyo et trouble
Bonne soirée
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Bonne soirée
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