La souffrance psychique des sans-abri
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La souffrance psychique des sans-abri
La souffrance psychique des sans-abri
8 Avril 2013
Les hommes et les femmes qui ont fait de la rue leur lieu de vie seraient 300.000 dans notre pays. Qui sont ces personnes fragilisées ? Comment les rejoindre dans leur souffrance ? Béatrice Soltner reçoit le Dr Alain Mercuel.
Quand on vit à la rue on n'est pas heureux. 30% des personnes sans-abris présentent des troubles psychiatriques sévères. Il peut s'agir de troubles réactionnaires - après avoir fui un pays en guerre, d'états dépressifs graves... Certaines personnes de la rue n'ont plus le souci de leur santé. Atteintes de schizophrénie ou de paranoïa ces personnes décrochent du soin : la perte de défense psychologique peut entraîner un affaiblissement corporel et une mise en danger d'elles-mêmes.
Comment aider une personne qui vit à la rue ? On peut toujours penser être bienveillant, mais l'acte que l'on propose ne l'est pas toujours. C'est l'exemple de Catherine dont la forte odeur corporelle était un moyen de tenir les hommes à l'écart, que l'on a incité à prendre une douche et qui ensuite a été violée. On ne peut pas penser être bienveillant sans penser à ce que l'on enlève à la personne : ce sont ces petits mètres carrés de cartonnage sur le trottoir que l'on n'identifie pas toujours comme étant la propriété de la personne.
Vivre à la rue vrille la perception du temps. On est dans l'immédiateté : où manger ? où dormir ? Au mieux l'avenir s'arrête à une ou deux heures. Pour venir en aide à ces personnes, on est obligé de s'adapter à cette temporalité. Cette aide ne peut être que progressive. Il faut prendre le temps de créer du lien. Il vaut mieux donner un euro cent fois à la même personne plutôt qu'un euro à cent personnes différentes : l'euro peut devenir facteur de lien. Il faut aussi beaucoup de tact pour savoir décrypter certains messages. Une personne placée à côté d'une boulangerie peut signifier qu'elle a faim... Par ailleurs, il ne faut jamais être seul pour aider une personne qui vit dans la rue. Il est important de se renseigner - auprès de la mairie par exemple - sur ce qui est fait pour elle et sur les associations qui lui viennent en aide.
Pour le Dr Alain Mercuel, l'important est de faire surgir une demande chez ceux que la souffrance empêche d'exprimer un désir. Aider revient pour le psychiatre à donner à la personne un état de conscience qui lui permette de faire un choix. Accompagner la personne de la rue pour qu'elle puisse être sujet, c'est-à-dire affirmer un oui ou un non. On dit qu'il faut autant de temps pour sortir quelqu'une de la rue que de temps que la personne y a passé...
http://podcast.rcf.fr/emission/142962/519802
Clémentine
8 Avril 2013
Les hommes et les femmes qui ont fait de la rue leur lieu de vie seraient 300.000 dans notre pays. Qui sont ces personnes fragilisées ? Comment les rejoindre dans leur souffrance ? Béatrice Soltner reçoit le Dr Alain Mercuel.
Quand on vit à la rue on n'est pas heureux. 30% des personnes sans-abris présentent des troubles psychiatriques sévères. Il peut s'agir de troubles réactionnaires - après avoir fui un pays en guerre, d'états dépressifs graves... Certaines personnes de la rue n'ont plus le souci de leur santé. Atteintes de schizophrénie ou de paranoïa ces personnes décrochent du soin : la perte de défense psychologique peut entraîner un affaiblissement corporel et une mise en danger d'elles-mêmes.
Comment aider une personne qui vit à la rue ? On peut toujours penser être bienveillant, mais l'acte que l'on propose ne l'est pas toujours. C'est l'exemple de Catherine dont la forte odeur corporelle était un moyen de tenir les hommes à l'écart, que l'on a incité à prendre une douche et qui ensuite a été violée. On ne peut pas penser être bienveillant sans penser à ce que l'on enlève à la personne : ce sont ces petits mètres carrés de cartonnage sur le trottoir que l'on n'identifie pas toujours comme étant la propriété de la personne.
Vivre à la rue vrille la perception du temps. On est dans l'immédiateté : où manger ? où dormir ? Au mieux l'avenir s'arrête à une ou deux heures. Pour venir en aide à ces personnes, on est obligé de s'adapter à cette temporalité. Cette aide ne peut être que progressive. Il faut prendre le temps de créer du lien. Il vaut mieux donner un euro cent fois à la même personne plutôt qu'un euro à cent personnes différentes : l'euro peut devenir facteur de lien. Il faut aussi beaucoup de tact pour savoir décrypter certains messages. Une personne placée à côté d'une boulangerie peut signifier qu'elle a faim... Par ailleurs, il ne faut jamais être seul pour aider une personne qui vit dans la rue. Il est important de se renseigner - auprès de la mairie par exemple - sur ce qui est fait pour elle et sur les associations qui lui viennent en aide.
Pour le Dr Alain Mercuel, l'important est de faire surgir une demande chez ceux que la souffrance empêche d'exprimer un désir. Aider revient pour le psychiatre à donner à la personne un état de conscience qui lui permette de faire un choix. Accompagner la personne de la rue pour qu'elle puisse être sujet, c'est-à-dire affirmer un oui ou un non. On dit qu'il faut autant de temps pour sortir quelqu'une de la rue que de temps que la personne y a passé...
http://podcast.rcf.fr/emission/142962/519802
Clémentine
Invité- Invité
Re: La souffrance psychique des sans-abri
Kikoo,
Merci Clémentine pour ton article, je suis touchée car à une époque j'ai participé à des actions très bien encadrées par la Croix Rouge, à Paris les soirs de grands froids, il y a pas mal d'années.
Je tiens à féliciter toutes ces personnes qui par leur écoute, leur patience, leur non-jugement, leur viennent en aide.
Même si vous ne souhaitez rien donner, un simple sourire c'est gratuit et cela peut leur apporter beaucoup.
Merci.
Merci Clémentine pour ton article, je suis touchée car à une époque j'ai participé à des actions très bien encadrées par la Croix Rouge, à Paris les soirs de grands froids, il y a pas mal d'années.
Je tiens à féliciter toutes ces personnes qui par leur écoute, leur patience, leur non-jugement, leur viennent en aide.
Même si vous ne souhaitez rien donner, un simple sourire c'est gratuit et cela peut leur apporter beaucoup.
Merci.
Invité- Invité
Re: La souffrance psychique des sans-abri
Bonjour Yoyo,
J'ai été particulièrement sensibilisée au sujet, au cours de mon travail de chargée de mission sur le programme "médiateurs de santé/pairs". Il y a eu une relation de collaboration avec un autre dispositif parallèle : "Un chez soi d'abord", grâce à la formation commune de médiateurs.
Petite revue de presse :
Le projet fou d’«Un chez soi d’abord»
11 mars 2013
Un toit, première étape pour soigner les SDF atteints de troubles psychiques : c’est le noyau d’une expérience qui engage plusieurs centaines de patients.
«Chez lui». Hafid doit encore s’habituer à ces deux mots. Il habite un petit studio, au rez-de-chaussée dans une ruelle d’un quartier populaire de Lille. «J’ai été cambriolé deux jours après mon arrivée, lâche-t-il, mais ça va. Le problème, c’est le nettoyage, puis la vaisselle. J’ai perdu l’habitude de me faire à manger aussi.» Depuis près de vingt ans, Hafid dormait dans la rue. Un divorce, puis un effondrement psychique, et bien d’autres facteurs encore sont à l’origine de son parcours. Pendant des années, Hafid a traîné, parfois dans un foyer, puis de nouveau dehors. Depuis six mois, il vit donc chez lui. Hafid est l’un des deux cents bénéficiaires d’une expérience nouvelle de prise en charge. A 53 ans, il souffre de lourds troubles psychotiques. Il est maigre, il a les dents cassées et un joli regard. Sur lui, il accumule des couches de vêtements par peur du froid. Ce jour-là, recroquevillé dans son studio, il laisse les volets fermés. «Je préfère, comme ça je suis tranquille, je ne veux pas trop être avec les voisins. Chacun chez soi.»
«Un chez soi d’abord» est l’intitulé de la plus importante recherche jamais effectuée en France, en psychiatrie, autour de la question du logement chez les SDF atteints de troubles mentaux sévères. Près de 400 patients y sont déjà intégrés, dans quatre villes : Paris, Toulouse, Marseille et Lille. L’étude s’étale sur plusieurs années et dispose d’un budget de plusieurs millions d’euros. Le point de départ ? Cela pourrait être cette réflexion, si souvent entendue dans le monde de la santé mentale : «Un psychotique, sans domicile, alcoolique… Que voulez-vous qu’on fasse ? Rien ne marche.» «Mais alors on fait quoi ? On les laisse dans la rue ?» s’interrogeait en écho le Dr Alain Mercuel, responsable de l’accueil précarité à l’hôpital Saint-Anne à Paris (1). Syndrome bien connu de la patate chaude : où chacun se renvoie la responsabilité de sa propre inaction. Traiter des SDF psychotiques ? Trop compliqué, sans solution.
C’est pour cela que ce projet Un chez soi d’abord est d’entrée un peu fou, car il s’agit de casser ce cercle vicieux où l’on ne sait plus si c’est le trouble mental qui vous met à la rue, ou bien l’inverse. Il démarre, en tout cas, à Marseille en 2007, autour de Vincent Girard. Ce psychiatre qui travaille à Médecins du Monde sur les questions de santé mentale et de précarité rentre tout juste d’Amérique du Nord. «C’est là que j’ai découvert la médecine communautaire», écrit-il alors (2). «Le savoir sur la psychiatrie et sur la rue vient de ceux qui souffrent. Comme le savoir sur le sida vient des malades, et celui sur les addictions vient des toxicomanes…» Bref, il faut se servir de la capacité des gens et de leurs compétences, même si celles-ci sont ébréchées. Aux Etats-Unis et au Canada, c’est sur ce principe que se sont développés au début des années 2000 des programmes dits de Housing First. Il s’agit d’un modèle d’accès et d’accompagnement vers et dans le logement. Son postulat est simple : l’accès immédiat et sans condition à un logement peut permettre à terme «le maintien durable d’un chez soi et l’amélioration de la qualité de vie».
Car dans les faits, que voit-on ? Les parcours d’hébergement des SDF sont souvent bloqués, parce que l’accès à un logement est conditionné à des objectifs impossibles à atteindre lorsque l’on vit dans la rue, comme celui de se soigner ou d’arrêter les consommations de drogues, bref d’être à jour au niveau administratif. C’est ce cercle vicieux que ces programmes de Housing First cherchent à casser.
A Marseille, Vincent Girard va faire un travail remarquable. Il va d’abord organiser un squat dans un immeuble baptisé thérapeutique où l’on accepte sans conditions les SDF malades. «On a négocié avec les propriétaires pour obtenir un titre d’occupation précaire», racontera le Dr Girard. Et cela a marché. Le lieu accueille 12 résidents. Certains sont sédentaires, d’autres circulent. En 2009, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé l’a visité. Et en est ressortie séduite. Elle a demandé à ce médecin un rapport sur la santé des sans-abri. En janvier 2010, il est rédigé et préconise des initiatives pilotes autour du modèle de Housing First. Ainsi, naît cette recherche, sous la traduction d’Un chez soi d’abord.
Trois ans. Depuis, cette expérience est devenue une grosse machine, impressionnante de vitalité, répartie dans quatre villes sur une durée de trois ans. Février 2013, nous en sommes à la moitié. A Lille, une petite centaine de SDF a été recrutée sur les 200 prévus. Ils sont divisés en deux groupes : les uns ont droit aux services normaux d’aide, et les autres à un logement quasi immédiat, puis à un suivi médico-social très présent. Et on les compare. Est-ce que cela marche ? C’est le mardi qu’a lieu la réunion de tous les intervenants : assistantes sociales, éducateurs de rue, kinésithérapeutes, médecins généralistes, chercheurs en sciences sociales. Sont présents tous ceux qui font fonctionner la recherche et qui suivent les différents patients. Ils sont ainsi une quinzaine d’intervenants.
Dans la salle de réunion, il y a un immense tableau blanc, où sont décrits tous les bénéficiaires du programme Un chez soi d’abord. Les intervenants ont écrit leurs remarques. Pour l’un des bénéficiaires, Zani, l’intervenant note : «Il faut passer le mardi à 14 heures, et ne pas oublier de lui acheter une cafetière et une balance.» Cette phrase, aussi : «Il faut l’amener au centre médico-psychologique pour son injection.». Pour un autre résident, dans la colonne «souhaits», il est écrit : «Aller mieux dans son corps et sa tête.» Ou encore : «Son souhait est d’aller en Algérie pour élever des animaux et des légumes.»
Voilà. Des bribes de reprises de vie. «Ceux qui ont un logement, on les voit souvent, au moins une fois par semaine, raconte le coordonnateur, Olivier Vilt. On a beaucoup travaillé avec des propriétaires privés pour avoir les logements.» La règle est la suivante : pendant deux ans, c’est l’association qui loue l’appartement, avec le projet que le résident prenne ensuite le relais. «Notre travail est aussi de voir si ces personnes que l’on dit totalement désocialisées, hors de tous les circuits, s’habituent à vivre seules dans un appartement et de voir aussi ce que l’on peut faire pour les aider à s’y maintenir», explique le coordonnateur.
Le profil des bénéficiaires ? Ils sont bien seuls, schizophrènes ou bipolaires. Ont été hospitalisés régulièrement, et sont pour la plupart dépendants de l’alcool ou sortant de prison. Mais ils ont tous des droits dont ils bénéficient peu. «C’est pour cela que nous n’avons pas pris les sans-papiers, pour ne pas mélanger des situations différentes», précise une sociologue qui suit le projet. Les objectifs de la recherche sont clairs : Voir s’ils vont rester ou pas dans leur logement. Arriver à recréer des liens, y compris avec leur famille, des relations avec leur voisinage. Mieux accepter les soins. Les premiers résultats sont positifs. «Dans les études étrangères, l’état de santé de ceux à qui on proposait un logement tout de suite s’améliorait fortement. Nous, on constate qu’ils utilisent moins les urgences, et qu’ils reprennent contact avec les équipes de soins», analyse le coordinateur.
Pour Emma Bellestein, psychiatre, qui suit tous les patients inclus dans le projet lillois, «il faut rester mesuré. Cela marche, mais il y a une très grande hétérogénéité des situations et des personnes. Il n’y a pas de figure type. Pour certains, l’appartement seul n’est peut-être pas indiqué. On verra. Notre objectif est large. On veut simplement qu’ils aillent mieux. Certains vont reprendre des soins, d’autre pas. En tout cas, aucun, à présent, n’est retourné à la rue». Katia, éducatrice, se montre très optimiste : «La bonne nouvelle, c’est que nous avons plein de bonnes surprises avec le voisinage qui régule la personne.» Face à cette recherche peu banale en France, le monde de la psychiatrie s’est montré plutôt critique, estimant que ce type de démarche existe déjà avec les appartements thérapeutiques. A la différence notable que ces derniers sont occupés par des patients qui sortent de l’hôpital, alors qu’avec Un chez soi d’abord les patients viennent de la rue. «Pourquoi ne pas financer directement nos appartements», ont demandé certains. Car le budget du projet est conséquent : 300 000 euros par an et par site. A Lille, les bailleurs sociaux se sont montrés réticents à proposer des logements, estimant ne pas avoir assez de garanties sur la fiabilité des futurs locataires. Les bénéficiaires de l’étude ont donc été logés dans le privé.
Nul ne conteste que cette recherche a le mérite d’affronter les situations les plus difficiles. Comme l’histoire de F., 41 ans. L’homme est agité, il parle tout le temps. Abandonné à la naissance. Vie chaotique, longtemps hospitalisé, longtemps aussi à la rue. Il ne prend plus ses médicaments, délire un peu. «Ce que j’aimerais ? Prendre des vacances», lâche-t-il… Avec l’opération Un chez soi d’abord, il a eu un premier appartement : «Je dérangeais avec le bruit, j’ai demandé à changer.» Il vit depuis six mois au dernier étage d’une petite tour. Il nous invite à visiter son logement. «Je ne vois plus de médecins, j’en ai assez, cela ne m’intéresse pas, ce sont des profiteurs. Maintenant, j’appelle le 115, et il me passe un "chez soi d’abord".»
Chez lui ? C’est défoncé. Deux pièces. Il ne veut pas montrer sa chambre : «Elle est en vrac, vous savez, je suis quand même un peu détraqué», s’excuse-t-il. Il parle tout le temps d’Eddie Murphy. Sa fenêtre est cachée par de grands rideaux. C’est son monde. Il fait un peu peur, mais c’est ainsi, et dans la tour on l’a accepté sans trop de problèmes. «Je suis chez moi», répète-t-il.
En France, il faudra attendre encore une bonne année pour voir si ces projets se révèlent efficaces, à moyen ou à long terme. «Mais le plus important, conclut le Dr Mercuel de Saint-Anne, c’est de montrer que l’on peut faire des choses, et que parfois cela marche.»
(1) Auteur de «Souffrance psychique des sans-abri», aux éditions Odile Jacob. (2) Dans «la Gazette de santé sociale».
http://www.liberation.fr/societe/2013/03/11/le-projet-fou-d-un-chez-soi-d-abord_887851
Clémentine
J'ai été particulièrement sensibilisée au sujet, au cours de mon travail de chargée de mission sur le programme "médiateurs de santé/pairs". Il y a eu une relation de collaboration avec un autre dispositif parallèle : "Un chez soi d'abord", grâce à la formation commune de médiateurs.
Petite revue de presse :
Le projet fou d’«Un chez soi d’abord»
11 mars 2013
Un toit, première étape pour soigner les SDF atteints de troubles psychiques : c’est le noyau d’une expérience qui engage plusieurs centaines de patients.
«Chez lui». Hafid doit encore s’habituer à ces deux mots. Il habite un petit studio, au rez-de-chaussée dans une ruelle d’un quartier populaire de Lille. «J’ai été cambriolé deux jours après mon arrivée, lâche-t-il, mais ça va. Le problème, c’est le nettoyage, puis la vaisselle. J’ai perdu l’habitude de me faire à manger aussi.» Depuis près de vingt ans, Hafid dormait dans la rue. Un divorce, puis un effondrement psychique, et bien d’autres facteurs encore sont à l’origine de son parcours. Pendant des années, Hafid a traîné, parfois dans un foyer, puis de nouveau dehors. Depuis six mois, il vit donc chez lui. Hafid est l’un des deux cents bénéficiaires d’une expérience nouvelle de prise en charge. A 53 ans, il souffre de lourds troubles psychotiques. Il est maigre, il a les dents cassées et un joli regard. Sur lui, il accumule des couches de vêtements par peur du froid. Ce jour-là, recroquevillé dans son studio, il laisse les volets fermés. «Je préfère, comme ça je suis tranquille, je ne veux pas trop être avec les voisins. Chacun chez soi.»
«Un chez soi d’abord» est l’intitulé de la plus importante recherche jamais effectuée en France, en psychiatrie, autour de la question du logement chez les SDF atteints de troubles mentaux sévères. Près de 400 patients y sont déjà intégrés, dans quatre villes : Paris, Toulouse, Marseille et Lille. L’étude s’étale sur plusieurs années et dispose d’un budget de plusieurs millions d’euros. Le point de départ ? Cela pourrait être cette réflexion, si souvent entendue dans le monde de la santé mentale : «Un psychotique, sans domicile, alcoolique… Que voulez-vous qu’on fasse ? Rien ne marche.» «Mais alors on fait quoi ? On les laisse dans la rue ?» s’interrogeait en écho le Dr Alain Mercuel, responsable de l’accueil précarité à l’hôpital Saint-Anne à Paris (1). Syndrome bien connu de la patate chaude : où chacun se renvoie la responsabilité de sa propre inaction. Traiter des SDF psychotiques ? Trop compliqué, sans solution.
C’est pour cela que ce projet Un chez soi d’abord est d’entrée un peu fou, car il s’agit de casser ce cercle vicieux où l’on ne sait plus si c’est le trouble mental qui vous met à la rue, ou bien l’inverse. Il démarre, en tout cas, à Marseille en 2007, autour de Vincent Girard. Ce psychiatre qui travaille à Médecins du Monde sur les questions de santé mentale et de précarité rentre tout juste d’Amérique du Nord. «C’est là que j’ai découvert la médecine communautaire», écrit-il alors (2). «Le savoir sur la psychiatrie et sur la rue vient de ceux qui souffrent. Comme le savoir sur le sida vient des malades, et celui sur les addictions vient des toxicomanes…» Bref, il faut se servir de la capacité des gens et de leurs compétences, même si celles-ci sont ébréchées. Aux Etats-Unis et au Canada, c’est sur ce principe que se sont développés au début des années 2000 des programmes dits de Housing First. Il s’agit d’un modèle d’accès et d’accompagnement vers et dans le logement. Son postulat est simple : l’accès immédiat et sans condition à un logement peut permettre à terme «le maintien durable d’un chez soi et l’amélioration de la qualité de vie».
Car dans les faits, que voit-on ? Les parcours d’hébergement des SDF sont souvent bloqués, parce que l’accès à un logement est conditionné à des objectifs impossibles à atteindre lorsque l’on vit dans la rue, comme celui de se soigner ou d’arrêter les consommations de drogues, bref d’être à jour au niveau administratif. C’est ce cercle vicieux que ces programmes de Housing First cherchent à casser.
A Marseille, Vincent Girard va faire un travail remarquable. Il va d’abord organiser un squat dans un immeuble baptisé thérapeutique où l’on accepte sans conditions les SDF malades. «On a négocié avec les propriétaires pour obtenir un titre d’occupation précaire», racontera le Dr Girard. Et cela a marché. Le lieu accueille 12 résidents. Certains sont sédentaires, d’autres circulent. En 2009, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé l’a visité. Et en est ressortie séduite. Elle a demandé à ce médecin un rapport sur la santé des sans-abri. En janvier 2010, il est rédigé et préconise des initiatives pilotes autour du modèle de Housing First. Ainsi, naît cette recherche, sous la traduction d’Un chez soi d’abord.
Trois ans. Depuis, cette expérience est devenue une grosse machine, impressionnante de vitalité, répartie dans quatre villes sur une durée de trois ans. Février 2013, nous en sommes à la moitié. A Lille, une petite centaine de SDF a été recrutée sur les 200 prévus. Ils sont divisés en deux groupes : les uns ont droit aux services normaux d’aide, et les autres à un logement quasi immédiat, puis à un suivi médico-social très présent. Et on les compare. Est-ce que cela marche ? C’est le mardi qu’a lieu la réunion de tous les intervenants : assistantes sociales, éducateurs de rue, kinésithérapeutes, médecins généralistes, chercheurs en sciences sociales. Sont présents tous ceux qui font fonctionner la recherche et qui suivent les différents patients. Ils sont ainsi une quinzaine d’intervenants.
Dans la salle de réunion, il y a un immense tableau blanc, où sont décrits tous les bénéficiaires du programme Un chez soi d’abord. Les intervenants ont écrit leurs remarques. Pour l’un des bénéficiaires, Zani, l’intervenant note : «Il faut passer le mardi à 14 heures, et ne pas oublier de lui acheter une cafetière et une balance.» Cette phrase, aussi : «Il faut l’amener au centre médico-psychologique pour son injection.». Pour un autre résident, dans la colonne «souhaits», il est écrit : «Aller mieux dans son corps et sa tête.» Ou encore : «Son souhait est d’aller en Algérie pour élever des animaux et des légumes.»
Voilà. Des bribes de reprises de vie. «Ceux qui ont un logement, on les voit souvent, au moins une fois par semaine, raconte le coordonnateur, Olivier Vilt. On a beaucoup travaillé avec des propriétaires privés pour avoir les logements.» La règle est la suivante : pendant deux ans, c’est l’association qui loue l’appartement, avec le projet que le résident prenne ensuite le relais. «Notre travail est aussi de voir si ces personnes que l’on dit totalement désocialisées, hors de tous les circuits, s’habituent à vivre seules dans un appartement et de voir aussi ce que l’on peut faire pour les aider à s’y maintenir», explique le coordonnateur.
Le profil des bénéficiaires ? Ils sont bien seuls, schizophrènes ou bipolaires. Ont été hospitalisés régulièrement, et sont pour la plupart dépendants de l’alcool ou sortant de prison. Mais ils ont tous des droits dont ils bénéficient peu. «C’est pour cela que nous n’avons pas pris les sans-papiers, pour ne pas mélanger des situations différentes», précise une sociologue qui suit le projet. Les objectifs de la recherche sont clairs : Voir s’ils vont rester ou pas dans leur logement. Arriver à recréer des liens, y compris avec leur famille, des relations avec leur voisinage. Mieux accepter les soins. Les premiers résultats sont positifs. «Dans les études étrangères, l’état de santé de ceux à qui on proposait un logement tout de suite s’améliorait fortement. Nous, on constate qu’ils utilisent moins les urgences, et qu’ils reprennent contact avec les équipes de soins», analyse le coordinateur.
Pour Emma Bellestein, psychiatre, qui suit tous les patients inclus dans le projet lillois, «il faut rester mesuré. Cela marche, mais il y a une très grande hétérogénéité des situations et des personnes. Il n’y a pas de figure type. Pour certains, l’appartement seul n’est peut-être pas indiqué. On verra. Notre objectif est large. On veut simplement qu’ils aillent mieux. Certains vont reprendre des soins, d’autre pas. En tout cas, aucun, à présent, n’est retourné à la rue». Katia, éducatrice, se montre très optimiste : «La bonne nouvelle, c’est que nous avons plein de bonnes surprises avec le voisinage qui régule la personne.» Face à cette recherche peu banale en France, le monde de la psychiatrie s’est montré plutôt critique, estimant que ce type de démarche existe déjà avec les appartements thérapeutiques. A la différence notable que ces derniers sont occupés par des patients qui sortent de l’hôpital, alors qu’avec Un chez soi d’abord les patients viennent de la rue. «Pourquoi ne pas financer directement nos appartements», ont demandé certains. Car le budget du projet est conséquent : 300 000 euros par an et par site. A Lille, les bailleurs sociaux se sont montrés réticents à proposer des logements, estimant ne pas avoir assez de garanties sur la fiabilité des futurs locataires. Les bénéficiaires de l’étude ont donc été logés dans le privé.
Nul ne conteste que cette recherche a le mérite d’affronter les situations les plus difficiles. Comme l’histoire de F., 41 ans. L’homme est agité, il parle tout le temps. Abandonné à la naissance. Vie chaotique, longtemps hospitalisé, longtemps aussi à la rue. Il ne prend plus ses médicaments, délire un peu. «Ce que j’aimerais ? Prendre des vacances», lâche-t-il… Avec l’opération Un chez soi d’abord, il a eu un premier appartement : «Je dérangeais avec le bruit, j’ai demandé à changer.» Il vit depuis six mois au dernier étage d’une petite tour. Il nous invite à visiter son logement. «Je ne vois plus de médecins, j’en ai assez, cela ne m’intéresse pas, ce sont des profiteurs. Maintenant, j’appelle le 115, et il me passe un "chez soi d’abord".»
Chez lui ? C’est défoncé. Deux pièces. Il ne veut pas montrer sa chambre : «Elle est en vrac, vous savez, je suis quand même un peu détraqué», s’excuse-t-il. Il parle tout le temps d’Eddie Murphy. Sa fenêtre est cachée par de grands rideaux. C’est son monde. Il fait un peu peur, mais c’est ainsi, et dans la tour on l’a accepté sans trop de problèmes. «Je suis chez moi», répète-t-il.
En France, il faudra attendre encore une bonne année pour voir si ces projets se révèlent efficaces, à moyen ou à long terme. «Mais le plus important, conclut le Dr Mercuel de Saint-Anne, c’est de montrer que l’on peut faire des choses, et que parfois cela marche.»
(1) Auteur de «Souffrance psychique des sans-abri», aux éditions Odile Jacob. (2) Dans «la Gazette de santé sociale».
http://www.liberation.fr/societe/2013/03/11/le-projet-fou-d-un-chez-soi-d-abord_887851
Clémentine
Invité- Invité
Un exemple
Bonjour, Clémentine et yoyo !
J'ai un voisin qui a été SDF à Paris, il dormait dans des caves. Il est venu dans mon bled il y a environ 18/19 ans. Il a été récupéré par les services sociaux qui lui ont trouvé un travail 3x8 à l'époque, donc bien payé, et ils lui ont fait acheter son appartement. Aujourd'hui, il a fini de le payer et est propriétaire !
Bon appétit. Bises . Jacques
J'ai un voisin qui a été SDF à Paris, il dormait dans des caves. Il est venu dans mon bled il y a environ 18/19 ans. Il a été récupéré par les services sociaux qui lui ont trouvé un travail 3x8 à l'époque, donc bien payé, et ils lui ont fait acheter son appartement. Aujourd'hui, il a fini de le payer et est propriétaire !
Bon appétit. Bises . Jacques
Re: La souffrance psychique des sans-abri
Ca s'est de l'accompagnement efficace !
Clémentine
Invité- Invité
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