Fragilité
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Fragilité
Bonjour à tous,
Chargée de mission dans le domaine de la santé mentale, je suis souvent consternée par les représentations des professionnels de santé, voilà ce que j'écrivais (avec quelques modifications) à mes collègues ce week-end :
"J'ai pu assister aux interventions de vendredi sur l'éducation thérapeutique.
Sur la forme, j'ai été frappée par l'empreinte d'un fatalisme profond. Il a été question de la vie entière du patient, suivant l'idée dominante du "malade psychique un jour, malade toujours".
Je suis intervenue pour faire part de cette remarque.
Une mère d'usager a encore davantage accentué cette forme d'impuissance. Elle a expliqué ne pas savoir de quoi son fils souffrait, mais elle a affirmé savoir qu'il faudrait le suivre tout au long de sa vie, avec des "piqûres de rappel" (dixit d'autres intervenants).
Deux patients apparaissent dans un petit film. Ils sont présents dans la salle, mais toutefois, il ne semble apparemment à personne opportun de les faire participer... En revanche un représentant des usagerrs est là dans la salle, sorte de caution.
En aparté, j'échange avec Mme ****, Pharmacien. Elle m'interroge sur ma formation. Déception prévisible, je ne suis pas professionnel de santé. Nous revenons sur mon approche de la stabilisation des troubles psychiques. Le verdict me glace : vous garderez toujours une fragilité. Un échange avec le Dr ***** obtient la même conclusion.
Quelle est donc cette "fragilité", sur laquelle plusieurs professionnels de santé semblent s'accorder, comme s'ils détenaient là une vérité ?
Ne serions-nous pas toujours dans une relation hiérarchisée de domination, de pouvoir entre soignants et soignés ? Je sais et toi, tu dois suivre mes instructions. Le patient doit rester à sa place. Alors difficile d'imaginer les formations de "patients-experts" dont il est question.
Je peux, bien entendu, affirmer que depuis 5 ans, je suis épanouie, heureuse de vivre, que j'ai construit un environnement matériel, affectif... qui me satisfait, que je suis équilibrée, que mon quotidien est dénué de symptômes, que mes 3 cachets du soir sont ma thérapie (tout comme mon mari doit prendre un traitement pour son choléstérol et effectuer un suivi avec son généraliste, mon mari ne se considère pas comme condamné, ni est regardé comme tel). Le plus important n'est-il pas de se sentir bien dans son existence, dans son identité ? Il ne faut pas oublier que bon nombre de personnes, dites "normales" ne sont jamais satisfaites, toujours en manque de quelque chose.
Alors certes, ma situation n'est pas celle de l'ensemble des bipolaires de type 1 ! D'autres n'ont pas la même chance, les mêmes outils, les mêmes ressources, etc, etc.
Je crois qu'en matière de communication sur les troubles psychiques, il faut faire état de l'étendue des possibles, des handicaps sévères et malheureusement inscrits dans la durée à des évolutions beaucoup plus favorables. L'espoir est là. Que peut faire un patient auquel on ne donne aucune perspective.
Pour ce qui est des fagilités qui inquiétent tant chez l'autre, il faudrait peut-être se demander simplement si cela ne relève pas purement de la condition humaine ! le soignant aussi, comme tout le monde, peut devenir victime, peut perdre son assurance, sa confiance.
Il faudrait sans doute avoir moins de certitudes pour pouvoir regarder l'individu atteint de troubles psychiques comme une personne à part entière.
Le concept d'empowerment semble bien difficile à assimiler. En France, on aime manier les concepts, l'abstraction, mais le pragmatisme, l'action, c'est bien plus compliqué.
A méditer."
Bref, pas facile de se confronter aux oeillères du monde médical, si sûr d'avoir raison et d'agir pour le bien de l'Humanité.
La société est stigmatisante, mais il suffit de regarder la source, la psychiatrie, pour comprendre le point de départ des représentations.
En conclusion, il y a encore du pain sur la planche faire évoluer les mentalités.
Bonne journée,
Clémentine
Chargée de mission dans le domaine de la santé mentale, je suis souvent consternée par les représentations des professionnels de santé, voilà ce que j'écrivais (avec quelques modifications) à mes collègues ce week-end :
"J'ai pu assister aux interventions de vendredi sur l'éducation thérapeutique.
Sur la forme, j'ai été frappée par l'empreinte d'un fatalisme profond. Il a été question de la vie entière du patient, suivant l'idée dominante du "malade psychique un jour, malade toujours".
Je suis intervenue pour faire part de cette remarque.
Une mère d'usager a encore davantage accentué cette forme d'impuissance. Elle a expliqué ne pas savoir de quoi son fils souffrait, mais elle a affirmé savoir qu'il faudrait le suivre tout au long de sa vie, avec des "piqûres de rappel" (dixit d'autres intervenants).
Deux patients apparaissent dans un petit film. Ils sont présents dans la salle, mais toutefois, il ne semble apparemment à personne opportun de les faire participer... En revanche un représentant des usagerrs est là dans la salle, sorte de caution.
En aparté, j'échange avec Mme ****, Pharmacien. Elle m'interroge sur ma formation. Déception prévisible, je ne suis pas professionnel de santé. Nous revenons sur mon approche de la stabilisation des troubles psychiques. Le verdict me glace : vous garderez toujours une fragilité. Un échange avec le Dr ***** obtient la même conclusion.
Quelle est donc cette "fragilité", sur laquelle plusieurs professionnels de santé semblent s'accorder, comme s'ils détenaient là une vérité ?
Ne serions-nous pas toujours dans une relation hiérarchisée de domination, de pouvoir entre soignants et soignés ? Je sais et toi, tu dois suivre mes instructions. Le patient doit rester à sa place. Alors difficile d'imaginer les formations de "patients-experts" dont il est question.
Je peux, bien entendu, affirmer que depuis 5 ans, je suis épanouie, heureuse de vivre, que j'ai construit un environnement matériel, affectif... qui me satisfait, que je suis équilibrée, que mon quotidien est dénué de symptômes, que mes 3 cachets du soir sont ma thérapie (tout comme mon mari doit prendre un traitement pour son choléstérol et effectuer un suivi avec son généraliste, mon mari ne se considère pas comme condamné, ni est regardé comme tel). Le plus important n'est-il pas de se sentir bien dans son existence, dans son identité ? Il ne faut pas oublier que bon nombre de personnes, dites "normales" ne sont jamais satisfaites, toujours en manque de quelque chose.
Alors certes, ma situation n'est pas celle de l'ensemble des bipolaires de type 1 ! D'autres n'ont pas la même chance, les mêmes outils, les mêmes ressources, etc, etc.
Je crois qu'en matière de communication sur les troubles psychiques, il faut faire état de l'étendue des possibles, des handicaps sévères et malheureusement inscrits dans la durée à des évolutions beaucoup plus favorables. L'espoir est là. Que peut faire un patient auquel on ne donne aucune perspective.
Pour ce qui est des fagilités qui inquiétent tant chez l'autre, il faudrait peut-être se demander simplement si cela ne relève pas purement de la condition humaine ! le soignant aussi, comme tout le monde, peut devenir victime, peut perdre son assurance, sa confiance.
Il faudrait sans doute avoir moins de certitudes pour pouvoir regarder l'individu atteint de troubles psychiques comme une personne à part entière.
Le concept d'empowerment semble bien difficile à assimiler. En France, on aime manier les concepts, l'abstraction, mais le pragmatisme, l'action, c'est bien plus compliqué.
A méditer."
Bref, pas facile de se confronter aux oeillères du monde médical, si sûr d'avoir raison et d'agir pour le bien de l'Humanité.
La société est stigmatisante, mais il suffit de regarder la source, la psychiatrie, pour comprendre le point de départ des représentations.
En conclusion, il y a encore du pain sur la planche faire évoluer les mentalités.
Bonne journée,
Clémentine
Invité- Invité
Re: Fragilité
Bonjour, Clémentine !
Merci pour ton témoignage, toi qui te décarcasse tant pour notre cause ! Mille mercis ! ! !
Bon après-midi. Bises . Jacques
Merci pour ton témoignage, toi qui te décarcasse tant pour notre cause ! Mille mercis ! ! !
Bon après-midi. Bises . Jacques
Re: Fragilité
Bonjour Clémentine,
Merci beaucoup pour cette contribution.
J'abonde totalement dans ton sens.
C'est vrai, les pairs-aidants, en France, c'est pas gagné! ça me révolte.
Mais je lisais récemment dans l'avant-dernier numéro de "santé mentale"consacré aux troubles bipolaires, que les soignants ne devaient pas négliger les connaissances acquises par les proches en matière de maladies psy. ça, ça fait du bien.
Chacun à notre échelle, nous devons avoir compris que le meilleur est possible pour notre proche, le lui faire sentir, le lui dire et l'accompagner pour y arriver. C'est parfois long, très long, semé d'embûches, parfois inatteignable, mais nous devons essayer. C'est mon combat , je sais que la réussite est possible, j'ai rencontré des bipos qui ont bien leur vie en mains. Ce combat ne me rend malheureusement pas disponible pour d'autres membres du forum, mais je pense à vous tous.
Si les soignants et nous les proches, nous sommes persuadés du caractère inéluctable d'une récurrence grave, c'est que nous sommes mal informés. Comme la pharmacienne que tu as rencontrée Clémentine, et qui semble bien installée au chaud dans sa tour d'ivoire.
Ici sur Angie, il y a de l'entraide, c'est essentiel, merci Angie!
Bonne journée à tous,
Vanoise.
Merci beaucoup pour cette contribution.
J'abonde totalement dans ton sens.
C'est vrai, les pairs-aidants, en France, c'est pas gagné! ça me révolte.
Mais je lisais récemment dans l'avant-dernier numéro de "santé mentale"consacré aux troubles bipolaires, que les soignants ne devaient pas négliger les connaissances acquises par les proches en matière de maladies psy. ça, ça fait du bien.
Chacun à notre échelle, nous devons avoir compris que le meilleur est possible pour notre proche, le lui faire sentir, le lui dire et l'accompagner pour y arriver. C'est parfois long, très long, semé d'embûches, parfois inatteignable, mais nous devons essayer. C'est mon combat , je sais que la réussite est possible, j'ai rencontré des bipos qui ont bien leur vie en mains. Ce combat ne me rend malheureusement pas disponible pour d'autres membres du forum, mais je pense à vous tous.
Si les soignants et nous les proches, nous sommes persuadés du caractère inéluctable d'une récurrence grave, c'est que nous sommes mal informés. Comme la pharmacienne que tu as rencontrée Clémentine, et qui semble bien installée au chaud dans sa tour d'ivoire.
Ici sur Angie, il y a de l'entraide, c'est essentiel, merci Angie!
Bonne journée à tous,
Vanoise.
vanoise- Nombre de messages : 204
Age : 56
Type troubles : Accompagnante
Date d'inscription : 18/01/2012
Re: Fragilité
Re-bonjour,
L'impression que j'ai, c'est que les soignants ont peur d'être dépossédés de leur savoir en le partageant avec les patients. C'est un peu comme s'ils allaient se retrouver démunis.
Leur rôle serait-il remis en question ? Le patient-expert risquerait-il de pouvoir fonctionner en toute autonomie ? Le psychiatre deviendrait-il alors accessoire, perdrait-il son contrôle ?
Par ailleurs, il y a la peur qu'inspire les troubles psychiques, même chez les soignants. L'individu atteint de troubles psychiques est celui qui peut rompre la sécurité des convenances, faire plonger dans l'imprévisible, provoquer la démesure, etc, etc. N'y-a-t-il pas plus classique et traditionnel que le milieu médical ? Bref, l'effet ovni du bipolaire est d'autant plus marqué.
Quand on sait qu'il y a des grands psychiatres en France qui taisent leurs troubles psychiques pour ne pas être discrédités par leurs confrères, par la profession toute entière.
La spécificité française n'est pas reluisante dans le domaine de la psychiatrie.
Des forums comme Angie permettent un espace d'expression, d'échanges et de construction de sens, mais aussi un frein à la pensée unique.
Bises,
Clémentine
L'impression que j'ai, c'est que les soignants ont peur d'être dépossédés de leur savoir en le partageant avec les patients. C'est un peu comme s'ils allaient se retrouver démunis.
Leur rôle serait-il remis en question ? Le patient-expert risquerait-il de pouvoir fonctionner en toute autonomie ? Le psychiatre deviendrait-il alors accessoire, perdrait-il son contrôle ?
Par ailleurs, il y a la peur qu'inspire les troubles psychiques, même chez les soignants. L'individu atteint de troubles psychiques est celui qui peut rompre la sécurité des convenances, faire plonger dans l'imprévisible, provoquer la démesure, etc, etc. N'y-a-t-il pas plus classique et traditionnel que le milieu médical ? Bref, l'effet ovni du bipolaire est d'autant plus marqué.
Quand on sait qu'il y a des grands psychiatres en France qui taisent leurs troubles psychiques pour ne pas être discrédités par leurs confrères, par la profession toute entière.
La spécificité française n'est pas reluisante dans le domaine de la psychiatrie.
Des forums comme Angie permettent un espace d'expression, d'échanges et de construction de sens, mais aussi un frein à la pensée unique.
Bises,
Clémentine
Invité- Invité
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